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Ar.1: Tout savoir sur la mémoire en 3 questions/réponses

Dernière mise à jour : 14 août 2022





CHAPITRE I : Mémoire et Apprentissage

Article 1: Tout savoir sur la mémoire en 3 questions-réponses


[Bienvenue dans la série “Brain & AI”: une série qui confronte le point de vue des neurosciences à celui de l'intelligence artificielle! La série sera composée de plusieurs chapitres avec différents articles. Chaque article peut être lu de manière indépendante.]



Vous voici au sein du premier article (" Tout savoir sur la mémoire en 3 questions-réponses") du premier chapitre de cette série "Mémoire et Apprentissage".


La lecture de ce premier article de ce chapitre vous permettra non seulement d’aborder le fonctionnement de la mémoire en sciences cognitives, mais également d’établir de meilleures stratégies pour apprendre. Cet article se présente sous la forme d'un questions-réponses.



Qu’est-ce que la mémoire en neurosciences?


Nous savons qu’il y a entre 80 milliards à 100 milliards de neurones. Cependant, il nous est impossible de connaître la capacité ultime de la mémoire humaine. Heureusement, la compréhension de l’apprentissage et de la mémoire en neurosciences est assez avancée.


Tout d’abord, nous n’avons pas une mémoire mais DES mémoires, distribuées dans deux grandes catégories: la mémoire à court terme (de l’ordre des secondes ou des minutes) et la mémoire à long terme (de l’ordre des jours ou des années) (voir Image 1). Il est important de retenir qu’un souvenir est une projection du passé pour être utilisé dans le futur. Autrement dit, la mémoire nous permet de définir des projections d’idées afin de pouvoir les utiliser à un moment ultérieur (se servir de ses connaissances, refaire du vélo, etc).


Image1: Les mémoires en neurosciences.


La mémoire à court terme est composée de la mémoire sensorielle et de la mémoire de travail. La mémoire sensorielle, comme son nom l'indique, est relative à nos sens tandis que la mémoire de travail nous permet de stocker une information à court terme jusqu’à son utilisation. Par exemple, lorsque nous devons retenir un numéro de téléphone, ce dernier est stocké dans la mémoire de travail puis aussitôt oublié dès lors qu’il a été utilisé. Nous sommes capables de retenir 5+/-2 items dans l’espace de stockage de cette mémoire de travail: c’est ce qu’on appelle l’empan mnésique.


La mémoire déclarative et la mémoire non déclarative définissent la mémoire à long terme. La première est “consciente” et relate de faits que l’on peut explicitement décrire alors que la deuxième est "inconsciente” et regroupe des apprentissages implicites ou qu'on ne peut décrire.


Au sein de la mémoire déclarative, nous retrouvons la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. La mémoire épisodique se rapporte à nos souvenirs personnels (par exemple, le repas exquis que j’ai mangé la semaine dernière). La mémoire sémantique, quant à elle, concerne des faits sur le monde (par exemple, savoir que la terre est ronde). Les faits de la mémoire épisodique sont généralement liés à un indice temporel contrairement aux faits de la mémoire sémantique qui sont dénoués de toute composante temporelle. Force est de constater que nous sommes capables d’évoquer un souvenir de tendre enfance en précisant une date (fourchette d’âge, année), alors que nous sommes incapables de préciser la date à laquelle nous avons appris que Paris est la capitale de la France.

Enfin, la mémoire non déclarative - ou inconsciente - est généralement décrite par la mémoire procédurale ou la mémoire des muscles. C’est la mémoire qui vous permettra de remonter sur un vélo des années durant.



Comment apprenons-nous et comment favoriser un bon apprentissage?


La mémoire est nécessaire pour l’apprentissage. Pour créer un nouveau souvenir, nous effectuons des passerelles entre les différentes mémoires.

L’apprentissage commence par la captation d’un stimulus grâce à nos organes sensoriels. L’information de ce stimulus est stockée dans notre mémoire sensorielle grâce à notre perception. De par notre attention, cette information se distribue dans la mémoire de travail. Si nous répétons cette information, elle sera encodée et consolidée dans la mémoire à long terme pour créer un nouveau souvenir. Il est possible de récupérer cette information dans la mémoire de travail pour l’utiliser à nouveau (voir Image 2).

Mais n’oublions pas une chose…


“Apprendre c’est éliminer” - JP Changeux


L’oubli est essentiel! Les synapses qui ne sont pas utilisées sont détruites et recyclées pour faire place à de nouveaux souvenirs.



Image 2: Le processus d'apprentissage.


Ainsi, l’intelligence est également la capacité à extraire des informations, à les trier et à les mettre en forme.


Par ailleurs, pour favoriser un bon apprentissage, le sommeil est essentiel: c’est durant la phase de sommeil que nous répétons nos événements passés dans la journée. Cette phase clef est d’autant plus importante chez les enfants qui ont un cycle de répétition quasiment 3 fois plus rapide que chez les adultes.


Pour mieux apprendre, il est également possible d’établir une stratégie de fréquence d’apprentissage. La fréquence de révision optimale pourrait correspondre à 20 à 30% du temps total pendant lequel on souhaiterait retenir l’information. Par exemple, si nous souhaitons retenir une information pendant 1 mois, il est nécessaire de la réviser durant quelques jours, et ce, de manière régulière et distribuée dans le temps.


Existe-t-il d'autres facteurs influançant négativement ou positivement l'apprentissage? La dopamine et le stress (notamment gérés par le cortisol) en sont des puissants modulateurs. La dopamine joue un rôle critique dans la motivation et la curiosité, des piliers de l'apprentissage (1). Le stress est également un fort modulateur dans l’apprentissage ou dans la récupération de nos souvenirs. La “convergence temps espace” est souvent évoquée: elle témoigne le fait que le stress a des impacts différents (négatifs ou positifs) en fonction du moment où il a été ressenti. Le stress au moment de l’apprentissage aurait tendance à améliorer la création de nouveaux souvenirs (2). Une des hypothèses est qu'il renforcerait les synapses associées à ce souvenir en activant la production de molécules d’adhérences neuronales (NCAM) (voir Image 3). Or, ces molécules d'adhérence connectent deux neurones et stabilisent une synapse. De plus, si on empêche l’activation des NCAM chez des souris par manipulation génétique, ces dernières présentent des déficits d’apprentissages et des capacités mnésiques amoindries (3). Néanmoins, le stress nuit à la récupération de la mémoire. Les pertes de mémoire lors d’examens scolaires en sont un exemple concret. De plus, le stress perturberait la mise à jour de nouveaux souvenirs et favoriserait un comportement rigide et habituel face à un apprentissage “flexible” et “cognitif” (2). Pour résumer, un stress associé au moment de l’apprentissage - à condition qu’il ne soit pas chronique - pourrait améliorer la création de nouveaux souvenirs. L’émotion associée à une situation permet une consolidation plus robuste. Pourtant, être stressé après le moment d'apprentissage perturberait l’accès à notre mémoire.



Image 3: Les molécules d'adhérence dans les synapses (4)


Pour mieux apprendre il faut donc:

  1. Bien dormir

  2. Distancer de manière régulière son apprentissage (répétitions)

  3. Favoriser la curiosité et la motivation

  4. Se détendre pour le moment fatidique (examen, entretien d'embauche, etc)!



Comment se matérialise l’apprentissage dans notre cerveau?


Un bon apprentissage est équivalent à une bonne plasticité synaptique, c’est-à-dire, à la bonne capacité de changement de notre cerveau. Or, cette plasticité synaptique se matérialise par un processus moléculaire connu sous le nom de “Potentialisation à long terme” (PLT). La PLT a été découverte en 1966 dans une structure cérébrale dédiée à la création de nouveaux souvenirs: l’hippocampe. Aujourd’hui, nous savons que la PLT est un processus qui n’est pas isolé dans l’hippocampe.

La PLT correspond au renforcement durable de nos synapses, autrement dit, à la capacité des synapses à augmenter leurs forces (i.e. la force synaptique) afin d’encoder un nouveau souvenir. Plus nous effectuons une tâche ou plus nous utilisons un souvenir, plus nous sollicitons les synapses relatives à cette tâche/souvenir. La force synaptique est modulée en fonction de la répétition de ces stimulations. Par exemple, si nous n’utilisons plus un numéro de téléphone, il sera oublié avec le temps car la force synaptique associée à ce souvenir diminuera avec le temps.


Mais revenons à quelques bases. Le passage d’informations dans le cerveau se fait grâce à la circulation d’un influx nerveux d’un neurone A à un neurone B. La PLT est une augmentation de l’amplitude de la réponse post-synaptique (neurone B) suite à la stimulation à haute fréquence du neurone pré-synaptique (neurone A). Plus simplement, la PLT décrit le mécanisme selon lequel le neurone B produit une réponse plus importante durant un temps plus ou moins long après une stimulation à haute fréquence du neurone A.


Ce changement d’amplitude de réponse peut engendrer une modification structurelle de la synapse et des neurones concernés: des nouveaux récepteurs (molécules qui accueillent le message du neurone A sur le neurone B) sur la face post-synaptique peuvent apparaître, de nouvelles synapses peuvent naître ou les aires pré- ou post-synaptiques peuvent s’agrandir (5).



Image 4: La potentialisation à long terme provoque des changements structuraux dans les neurones concernés (ici, l’apparition de nouvelles épines dendritiques) (6).


Mais où sont situés nos souvenirs dans notre cerveau? La création des nouveaux souvenirs a lieu dans l’hippocampe - une structure sous le cortex largement associée à la mémoire. Une fois les souvenirs créés, on suppose qu'ils sont déplacés puis stockés dans la région corticale responsable de ce souvenir. Par exemple, le souvenir d’une image particulière sera stockée dans le cortex visuel.



- BONUS -

Comment avons-nous découvert que l’hippocampe est un foyer responsable de la création de nouveaux souvenirs?



Nous devons cette découverte au patient “HM” (Monsieur Henry Gustav Molaison): un patient qui souffrait de crises épileptiques handicapantes. En 1953, soit à 27 ans, il subit une ablation chirurgicale des régions responsables de ses crises épileptiques. L’hippocampe étant en grande partie ciblé, cette région fut quasiment supprimée. A partir de ce moment, le patient HM vécut avec une amnésie antérograde: il fut incapable de stocker de nouveaux souvenirs dans la mémoire à long terme tout en ayant une mémoire à court terme intacte. Certains faits restaient tout de même étranges: il se rappelait qu'il avait « des problèmes de mémoire » ou encore qu’« une personne célèbre appelée Kennedy a été assassinée ». En outre, son amnésie touchait particulièrement la mémoire explicite/déclarative tandis qu’une partie de sa mémoire implicite, responsable des habiletés motrices, restait intacte (tâches du “dessin en miroir”) (7). Cette découverte fut exceptionnelle et permit, grâce au patient HM, de localiser le foyer de création de nouveaux souvenirs comme étant l’hippocampe.



C'est la fin de ce premier article. A bientôt pour le deuxième article du chapitre "Mémoire et Apprentissage"!





BIBLIOGRAPHIE

  1. Berke, J.D. What does dopamine mean?.Nat Neurosci 21, 787–793 (2018). https://doi.org/10.1038/s41593-018-0152-y

  2. Vogel, S., Schwabe, L. Learning and memory under stress: implications for the classroom. npj Science Learn1, 16011 (2016). https://doi.org/10.1038/npjscilearn.2016.11

  3. R. Bisaz et al., Learning under stress : a role for the neural cell adhesion molecule NCAM, in Neurobiol. of Learning and Memory, vol. 91(4), pp. 333-342, 2009.

  4. Cerveau&Psycho - n° 48 novembre - décembre 2011

  5. Neurosciences, D.Purves et al., De Boeck, 2013.

  6. La plus belle histoire de l'intelligence,S. Dehaene, Y. Le Cun, J. Girardon, Robert Laffont, 2018.

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